LE BIO

La nouvelle religion du bien-être

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Pour Expression Active, le magazine de la CCI du Doubs.

Ce premier semestre fut très bio en Franche-Comté. Pas une semaine sans un marché, une fête, une animation-découverte… Début avril, le salon Bio & Co qui se tenait au parc des expositions Micropolis de Besançon a accueilli  20 000 visiteurs pour sa première édition. Ses organisateurs en espéraient 10 000. L’époque est favorable au bio. La tendance est planétaire et même si la France fait figure de mauvais élève de l’Europe en termes de surfaces agricoles bio, la Franche-Comté, elle, fait bonne figure dans le classement des régions françaises. Derrière ce petit mot qui sonne comme un mantra s’ouvre tout un marché au contour encore mal définis.

 L’idée à un siècle environ, sa floraison fut lente. S’il fallait lui donner un inventeur, on citerait l’Allemand Rudolf Steiner et son concept biodynamie, version ésotérique de l’agriculture bio, développé dans les années 20. C’est donc en Europe, au début du siècle dernier, que se développent ces courants de pensée qui se préoccupent tout à la fois de la préservation de la fertilité naturelle des sols, de l’autonomie des exploitations agricoles et de la qualité des produits de la terre.

Le terme Agriculture biologique apparaît vers 1950. Le phénomène prend de l’ampleur au cours des années 60. Il y eut la création du Club de Rome, en 1968, à l’initiative d’un administrateur de Fiat. Des chercheurs, économistes et industriels de 53 pays se retrouvent pour une grande conférence dans la capitale italienne pour réfléchir aux problèmes planétaires globaux, notamment environnementaux. Quatre ans plus tard, en 1972 à Stockholm, se tient le premier Sommet de la Terre. On y parle d’éco-développement, un concept auquel on donnera le nom de Développement durable quelques années plus tard. Le choc pétrolier de 1973 accélère l’éveil des consciences. Dans la plupart des pays européens, les agriculteurs biologiques se rassemblent au sein de fédérations, nationales et internationales. En France, le terme agriculture biologique est légalement protégé par la loi d'orientation agricole de 1981. Le label AB (Agriculture Biologique) est créé en 1985. Il correspondait à un cahier des charges français. L’année dernière, une nouvelle loi européenne sur la bio impose un cahier des charges communautaire, un peu moins contraignant que notre cahier des charges national. Notre logo AB ne disparaîtra pas mais s’affichera désormais à coté du nouveau logo européen. Pour l’Europe, il s’agit d’établir une règle du jeu permettant aux pays les moins avancés d’entrer rapidement dans la démarche bio. Rapidement, car il y a urgence. Les conséquences d’un développement sans bornes de l’agriculture intensive commencent à effrayer. Au sortir de la guerre, l’objectif majeur de tous les pays était la réduction des prix de l’alimentation. Cette nécessité politique s’est donc satisfaite de tous les moyens que permettait le progrès technologique.

Un succès qui bouscule de gros intérêts

Aujourd’hui le système craque. Qu’il s’agisse des questions de pollution, de ressources en eau, de pérennité des sols ou d’hégémonie commerciale, toutes les études tirent le signal d’alarme. Les gouvernants doivent rendre de nouveaux arbitrages. Cette remise en cause bouscule de gros intérêts. C’est donc le règne de la désinformation. Puisqu’il est difficile de nier les conséquences négatives de l’agriculture intensive, on cherche au moins à reléguer la bio dans sont petit compartiment : avec ses rendements ridicules, la bio ne peut prétendre nourrir le monde. L’argument était asséné avec violence. «Nous n’allons pas nourrir 6 milliards d’êtres humains avec des engrais biologiques» déclarait Norman Borlaug, phytogénéticien et prix Nobel, lors d’une conférence en 2002. Le chimiste de Cambridge John Emsley était plus abrupt encore : « La plus grande catastrophe à laquelle la race humaine pourrait faire face durant ce siècle n’est pas le réchauffement planétaire mais une conversion planétaire à l’agriculture biologique. Environ deux milliards de personnes en mourraient. »

Ces arguments sont progressivement contredits par la recherche. Si les fermes biologiques ont un rendement souvent inférieur aux fermes traditionnelles, l’écart ne cesse de se réduire. Il est réel les premières années, le temps que le sol récupère après des années d’assauts chimiques. En réalité, cet écart qui était de l’ordre de 20 % selon des études conduites au début de la décennie, se réduit de manière continue. Une étude californienne menée en Inde vient d’établir que la production moyenne de coton et de blé était plus élevée dans les fermes biologiques que dans les fermes conventionnelles de la région.

 La bio, agriculture innovante

Les scientifiques attribuent ces performances à l’innovation et à la sophistication croissance des techniques bio qui ne cessent d’enrichir le sol au fil des saisons. L’exact opposé de ce qui se passe en agriculture intensive où, dans certaines plaines céréalières, les sols sont passés, en 60 ans d’exploitation, de deux mètres de profondeur à 30 centimètres. Des sols bientôt sans terre, copieusement lessivés en « fortifiants ». Et comme si les projections désastreuses en matière écologique n’étaient pas suffisantes, l’agriculture centralisée prouve depuis un an qu’elle est devenue un formidable terrain de spéculation.

Le public entend ces arguments de toute nature et réagit. C’est l’âge d’or de la bio. Les points de vente spécialisés voient chaque jour de nouveau venus dans leurs allées. Ils sont moins « typés » que les clients de toujours. Ce ne sont pas des intégristes, même pas des écolos. « Ils ont encore des doutes, ils posent beaucoup de questions. » remarque Michel Mosini, créateur de l’enseigne Croque Nature à Serre-Les-sapins (25) et aujourd’hui à la tête d’un réseau de sept magasins. « On ne change pas ses habitudes alimentaires en une fois. Il y a généralement un élément déclencheur et on commence toujours par une famille de produits. ». Même perception de la part de Didier Maillotte, gérant de Canopée : « La clientèle se diversifie. Elle rajeunit aussi. Il y a un phénomène premier enfant. C’est récent. Parfois leurs achats ne concernent que le bébé. Au début. »

C’est une belle récompense pour ceux qui furent longtemps considérés comme de doux illuminés. Le «problème» du marché bio qui se tient tous les seconds samedis du mois à Besançon illustre bien le phénomène. Créé à l’initiative de InterBio, l’association interprofessionnelle de l’agriculture bio en Franche-Comté), ce marché a trouvé son public. « Et pourtant, c’est paradoxal, mais nous avons quelques soucis sur sa pérennité », explique Christelle Triboulot, responsable de l’association, «  car de plus en plus de producteurs n’ont plus besoin des marchés pour écouler leur production ».

 Un marché en mutation

Tout va bien donc, mais le succès bouscule les lignes. La marché est en mutation profonde. Pour les acteurs globaux (gouvernements, grandes agences internationales et autres organismes d’experts), il est vital d’accélérer le développement de la bio, fut-ce au prix d’un assouplissement des règles. Les enjeux sont majeurs. Les exploitations ne vont pas seulement se multiplier, elles vont grossir. Il y aura les anciens et les modernes et les batailles qui vont avec. Même chose pour les distributeurs. Si les Biocoop et autres La Vie Claire sourient aujourd’hui, la grande distribution ne regardera pas le train passer. La bio débarque dans les linéaires, à grand renfort de publicité. Même si on ne sait pas très bien comment les gérer. Certaines enseignes les regroupent dans des rayons spécialisés : cinq mètres de produits bio entre deux mètres de produits diététiques et trois mètres de produits équitables. D’autres les laissent dans leur famille, café bio et café équitable au milieu des autres cafés. On créé des marques d’enseigne Bio, du AB sans marque. Le marketing a des réponses à tout. Ceux qui ont défendu et promu la bio pendant des décennies ont gagné le combat des idées. L’explosion de la demande est leur petit eldorado. Mais rien n’est définitif. Car on découvre aussi que la bio a d’excellente vertus sur les résultats d’exploitation.

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