LA GUERRE DES ORTIES

Un peu de piquant
dans la combat pour la biodiversité

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Pour l'Arrosoir, le magazine du réseau des Jardins de Cocagne.

Tout a commencé par un incident un peu surréaliste. Le 1er septembre dernier, des agents de la répression des fraudes effectuent un contrôle chez un paysagiste reconnu pour le succès de ses recettes phytothérapiques naturelles. Son ordinateur est saisi et on lui signifie très officiellement l’illégalité de son activité. La « guerre de l’ortie » est rallumée et avec elle un débat bien plus large sur la biodiversité et la place des pratiques agricoles douces dans un univers dominé par les géants de l’industrie phytosanitaires.

 Éric Petiot n’est pas un simple adepte de l’agriculture douce. Il n’a pas été choisi par hasard. C’est un expérimentateur et un fervent promoteur de toutes ces recettes naturelles qui permettent de protéger, soigner et fortifier les plantes. Son délit, c’est donc la prescription et la commercialisation de jus d’ortie (la plus populaire de ces concoctions) et autres préparations à base de plantes utilisées en substitution des pesticides et autres fortifiants chimiques. Car si tout un chacun peut concocter son purin d’ortie dans sa cabane au fond du jardin, il est interdit de vendre le précieux jus, ou même de l’échanger ! Le simple fait d’en communiquer la recette est un délit et les contrevenants s’exposent à un risque d’amende qui peut atteindre 75 000 euros et à une peine éventuelle de prison.

 Naturellement, le néophyte s’étonne. Mais dans le monde agricole, on connaît bien l’histoire. Cet incident n’est qu’un épisode dans une guerre de position où l’État vient d’effectuer un mouvement un peu brutal et maladroit.

L’interdiction qui pèse sur ces préparations à base de plantes n’est pas nouvelle. Elle est liée à une obligation d’homologation qui pèse sur tous les produits phytosanitaires. À l’origine de cette réglementation, il y a, chez le législateur, une préoccupation de santé publique : le développement des produits de l’industrie chimique dans le secteur agricole exige des procédures drastiques contrôle avant mise sur le marché. Dont acte. Le problème que tout le monde a vu venir, c’est l’impossibilité pour les productions artisanales de supporter les coûts de ces procédures (la moindre homologation se chiffre en dizaines de milliers d’euros par produit). Dans un premier temps l’État a fermé les yeux sur la poursuite du commerce, quantitativement marginale, des produits artisanaux hors du cadre de ses lois. Mais depuis quelques années, cette agriculture de « doux rêveurs » est en train de prouver qu’elle répond parfaitement aux exigences nouvelles de développement durable. L’agriculture biologique essaime, tranquillement mais sûrement. Et elle véhicule une pensée. Elle dérange parfois.

Doit-on imaginer la main invisible des lobbies de l’industrie phytosanitaire dans ce zèle de l’État à vouloir désormais appliquer la loi dans toute sa dureté ? On peut. On peut aussi penser que « l’indulgence » dont bénéficiaient les producteurs artisanaux mérite aujourd’hui d’être questionnée. Eux-mêmes expriment parfois le souhait de voir leurs protocoles de fabrication normalisés pour protéger le consommateur des dérives toujours possibles lorsqu’un secteur se révèle soudainement très porteur.

En tout état de cause, l’incident a eu le mérite de réveiller un débat nécessaire. Les médias ont amplement relayé cette « guerre de l’ortie » opposant le David de l’agriculture biologique au Goliath de l’industrie phytosanitaire.

Il faut espérer que l’émotion suscitée va désormais  favoriser un dialogue constructif entre l’État et les filières de l’agriculture biologique car l’épisode de la mise à l’index du jus d’ortie n’est qu’une facette d’une problématique bien plus large. L’accession des producteurs artisanaux à des procédures d’homologation adaptées et intelligentes  est une chose. Mais on doit continuer à questionner la mise sur le marché de certains produits phytosanitaires industriels dont l’homologation n’est en aucun cas une garantie d’innocuité pour l’homme et l’environnement.

Ce combat commence à porter ses fruits. Le 21 novembre 2006, la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale adoptait un amendement de la loi sur l’eau pour « permettre l’usage de préparations naturelles issues de fabrication artisanale ». Il faut cependant rester vigilant et ne pas présumer des chances d’aboutissement d’un tel amendement.

Confrontés comme nous le sommes à des problèmes vitaux d’environnement, de santé publique et de partage des ressources, il n’est plus temps d’amender et de corriger à la marge. Il est urgent d’inventer des règles qui donnent toutes leurs chances aux formes alternatives de développement qui préserveront une nécessaire biodiversité. Il faut souhaiter que notre amie l’ortie aura donné un coup de fouet à la réflexion. 

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