LA FRICHE
DE LA RHODIA

une page va se tourner

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Pour Expression Active, le magazine de la CCI du Doubs.

Voir le superbe documentaire.

La friche de la Rhodia, une page va enfin se tourner…

 L’usine Rhodiacéta a fermé ses portes en 1982 mais c’est en 2015 seulement que la ville de Besançon a pu acquérir les terrains, après d’âpres péripéties juridiques. Les travaux de conversion du site vont pouvoir commencer. Un nouveau parc urbain va naître sur la boucle du Doubs.

La collectivité n’a pas attendu ce titre de propriété pour réfléchir à l’avenir de ce site qui jouit d’une position exceptionnelle, au pied de la Citadelle, à deux pas du centre ville. Les services de l’urbanisme ont commencé à plancher sur sa reconversion dès les années quatre-vingt. Faute de faisabilité immédiate, le projet a eu le temps de murir. La réflexion a évolué mais dans tous ces scénarios envisagés, une volonté s’est constamment affirmée : préserver une part du récit historique, bâtir l’avenir en se souvenant du passé. Car l’histoire de la Rhodia est emblématique d’une époque, celle de la fin des « trente glorieuses » dans une région industrielle bousculée par la mondialisation.

L’histoire commence avec un personnage, le comte Hilaire de Chardonnet, né à Besançon en 1839. Chargé d’une étude sur la maladie du ver à soie, il parvient à reproduire en laboratoire ce petit miracle de la nature : le fil de soie. Une soie artificielle qui se révèle aussi fine, légère et brillante que la soie naturelle. L’industrialisation du procédé vaudra fortune et célébrité à son inventeur. En 1892, il fonde la Société de la Soie Chardonnet qui sera rachetée en 1952 par Rhodiacéta, une société du groupe Rhône-Poulenc qui spécialise l’usine bisontine dans la fabrication des fils Nylon et Tergal. 

La Rhodia, comme on l’appelle familièrement, est une belle et grande usine qui incarne la modernité. Le bourdonnement incessant de milliers de bobines de fil emplit ses immenses ateliers. On est fier de travailler dans cette entreprise qui pratique des salaires plus élevés que ceux de l’horlogerie. Les équipes tournent en quatre/huit. Au milieu des années 60, la Rhodia compte 3800 salariés. Mais la France n’est pas la seule à produire ces fibres textiles à la mode. Le marché se mondialise. L’employeur réduit les effectifs, durcit les conditions de travail. C’est le début du chômage technique. Les ouvriers se mobilisent. Des figures syndicalistes émergent. Aiguillonnées par l’exemple bisontin, toutes les usines Rhodiacéta de France se mettent en grève. Mais l’issue est inéluctable. Les ateliers se dépeuplent petit à petit. L’activité s’arrête en décembre 1982 et les machines sont transférées en Thaïlande. A Besançon, on pose des cadenas sur les grilles. C’est la fin. Quelques saisons plus tard, la végétation commence à fissurer le béton. La nuit, les riverains aperçoivent des lueurs de lampes torches derrières les vitres brisées. Des silhouettes fantomatiques apparaissent parfois sur les toits. Chaque matin révèle de nouveaux tags sur les façades. La vieille usine fascine les grapheurs. Tout est impressionnant ici, même le silence. Le plus grand atelier du site, « La Cathédrale », pourrait contenir un paquebot. Comment un artiste ne serait-il pas fasciné par la brutalité et la poésie de cet univers post-apocalyptique ? En trente-cinq ans, plusieurs générations d’artistes ont exploré cette planète oubliée. Ils ont laissé derrière eux des milliers de graphes, sur les murs, les plafonds, les piliers, dans les caves…

Tout cela disparaitra au milieu des gravas lorsque les engins de démolition entreront en scène. La Ville de Besançon a donc décidé d’inventorier ce patrimoine artistique. Ce travail a été réalisé en 2016 par un photographe et un sociologue. Une grande exposition sera dévoilée en 2019 au moment où le nouveau parc urbain sera ouvert au public. 

En attendant, les travaux viennent de commencer, en ce début d’automne. Cette première phase de démolition est un chantier lourd et complexe. L’ensemble de l’opération va durer 18 mois. Son coût est évalué à 2.5 millions d’euros. Des portions de l’ancienne usine seront conservées : un vénérable bâtiment de 1905 (l’ancien familistère des soieries de Chardonnet), le grand atelier baptisé « La cathédrale », le château d’eau et le quai de déchargement des péniches.

C’est sur cette emprise de 5 hectares que les bisontins vont voir naître le parc urbain dessiné par Patrick Duguet, géographe urbaniste lauréat du concours de projets organisé par la Ville de Besançon. Ce nouveau quartier fera la part belle aux espaces verts et rendra la rivière aux habitants. Tout le bâti se déploiera « en peigne », depuis la rue, laissant de larges perspectives et des cheminements piétons le long du Doubs. 

De larges espaces de loisirs urbains permettront d’accueillir des événements culturels, sportifs ou populaires. La culture sera également présente à travers la « fabrique artistique », qui hébergera des structures associatives dans un bâtiment réhabilité. À terme, un quartier résidentiel de « haute qualité environnementale » verra le jour. Les espaces publics seront livrés en 2019. De la vieille usine il ne restera donc que quelques vestiges habillés de neuf. Pour les bisontins qui veulent se souvenir de la Rhodia, de son histoire industrielle et post-industrielle, il existe un captivant documentaire de 52 minutes, intitulé « Tant que les murs tiennent », réalisé par Marc Perroud.

 

 

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