LA CITÉ DES PRINCES

Montbéliard, du Moyen-Âge à la Révolution

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Il s’appelle Uton. Il est le premier Montbéliardais dont l’histoire a retenu le nom.
C’est à lui que nous devons la première mention de Montem Biliardae, en 985, il y a donc plus d’un millénaire. Notre homme s’est rendu à Luxueil-les-Bains pour se recueillir sur le tombeau de saint Valbert où, disait-on, s’opéraient des miracles. Uton était aveugle, et si le chroniqueur Adson de Montier-en-Der prend la peine de s’enquérir de la provenance de notre pèlerin, c’est parce que celui-ci a effectivement recouvré la vue. Il rapporte que le miraculé  venait d’une région anciennement colonisée par les troupes romaines, et il décrit Montbéliard comme une localité fortifiée (oppidum) disposant d’un réduit défensif et d’un château (castrum) dominant les tenures paysannes (campagniolas).

Avant cet épisode, l’histoire des hommes autour de cet éperon rocheux surplombant le confluent de l’Allan et de la Lizaine ne nous est pas connue avec certitude. De l’histoire gallo-romaine locale, l’archéologie nous apprend que la cité d’Epomanduodurum, à 8 km de Montbéliard, est la ville principale de ce vaste territoire, et que les Romains ont choisi cet endroit pour y construire un port et un centre de commerce. Cette ville au joli nom, qui devint Mandeure, perd son prestige en même temps que s’effondre l’empire sous les coups de butoir des envahisseurs barbares. Il n’est donc pas interdit de penser que notre promontoire montbéliardais soit apparu, alors, comme le site idéal pour affirmer le besoin de sécurité et de domination des chefs de guerre attirés par cette place stratégique aux portes des Vosges et du Jura.
Pendant les siècles de christianisation, la vie s’est donc organisée sur ce mont de belle garde » dont le sieur Uton était l’un des habitants. D’autres récits plus tardifs nous apprennent que le premier possesseur du château est un comte, Louis de Mousson, du Comté de Bar en Lorraine, à qui la ville de Montbéliard doit les « deux bars adossés » de ses armoiries.

Signée en 1283, la Charte des Franchises fixe le nouveau statut des Montbéliardais.
Au cours des XIe et XIIe siècles, la petite agglomération castrale se développe. Les comtes de Mousson se succèdent. Progressivement, une administration se met en place. On cite l’arrivée d’un avoué (advocatus) en 1105, d’un prévôt en 1150, puis d’un maire quelques décennies plus tard. Tout autour de cette acropole et dans les vallées environnantes, les fermes se transforment en hameaux. Pour donner corps à cette capitale naissante, les comtes mènent une politique religieuse active et installent des reliques de saint Mainboeuf dans l’église du château. Cette attractivité nouvelle donne rapidement naissance à un petit bourg dont les maisons s’enroulent autour de l’éperon protecteur.
La dynastie des Montfaucon prolonge la dynastie des Mousson. La petite vile médiévale grandit et s’anime. On trouve mention d’une grande foire de la Saint-Michel en 1247.
L’année suivante, le comte Thierry fit construire le premier hôpital pour les indigents, à proximité du gué de l’Allan. La guerre étant à cette époque, et pour longtemps encore, l’occupation favorite des seigneurs, la population se voit douloureusement ponctionnée d’impôts plus imaginatifs les uns que les autres. La bourgeoisie d’affaires qui s’est peu à peu développée, entend bien défendre ses intérêts et gagner un peu de liberté et d’autonomie dans la gestion de la ville. Un rapport de force en défaveur d’un comte trop souvent absent et trop souvent absorbé par les troubles politiques et familiaux, permet aux bourgeois d’obtenir ce que l’on appelle alors la franchise urbaine.
Cette Charte des Franchises, signée en 1283, fixe le nouveau statut des Montbéliardais. Elle proclame la fin des servitudes, inaugure une notion inédite de liberté individuelle et créé une administration urbaine qui restera en place jusqu’à la Révolution. Ce partage du pouvoir entre les seigneurs et ces « francs-bourgeois » constitue un passage vers une conception nouvelle de la vie publique. Montbéliard devient ainsi une ville médiévale « moderne », et cette émancipation de la population sera certainement déterminante dans la manière dont la ville surmontera les épreuves qui l’attendent au seuil de ce XIVe siècle.

 Henriette de Montfaucon et Eberhard de Wurtemberg, un mariage historique.
Le XIVe et XVe siècles sont, pour toute l’Europe, des périodes troublées et douloureuses. Le Moyen-Âge s’achève dans une interminable crise sociale, spirituelle et morale. Les guerres ne s’interrompent que pour faire place aux famines et aux épidémies. Pendant deux siècles, chaque génération connait au moins une guerre.
C’est au cours de cette période tourmentée que se produit l’un des événements les plus marquants, les plus décisifs dans l’histoire de Montbéliard.
En 1397, Henriette de Montfaucon, alors adolescente, reçoit en héritage le Comté de Montbéliard de son père, le comte Étienne dont le seul fils est mort aux croisades.
Le jeu des alliances politiques dictera à la famille l’union de Henriette avec un jeune prince d’Empire, Eberhard de Wurtemberg. Ce mariage, célébré en 1407, à la majorité des deux héritiers, fonde une nouvelle dynastie qui, en quatre siècles d’un destin germanique et d’une influence luthérienne, donnera à Montbéliard une singularité qui fut aussi sa force.
Le contexte politique de cette époque retardera un peu la pleine rencontre deux cultures. Au cours de ce premier siècle d’alliance, les souverains successifs règnent le plus souvent en Wurtemberg et n’apparaissent que peu à Montbéliard. Il faut attendre l’aube de la Renaissance pour voir enfin s’affirmer cette identité originale qui commence à distinguer la ville de Montbéliard de tous ses voisins régionaux. En 1495, la cité devient capitale d’une principauté indépendante. Les échanges diplomatiques, artistiques et commerciaux, de part et d’autre du Rhin, commencent à produire des bénéfices visibles en terme d’administration, d’urbanisme et d’éducation.
Déjà Wurtembourgeoise par son gouvernement, la ville va accentuer sa singularité en basculant dans le monde de la réforme protestante. Si ces idées « européennes » commencent à éveiller les esprits, c’est parce que ici comme ailleurs, l’église catholique peine à surmonter la crise morale d’une institution qui a commis tous les excès.

 Enclave protestante dans une contrée catholique, Montbéliard devient une terre d’accueil.
Le prince Ulrich veut appliquer à Montbéliard le principe du Cujus rigio, ejus religio qui peu s’interpréter comme : « telle la religion du prince, telle la religion du pays ». Mais le clergé catholique résiste durement et la population devient le jouet d’un incessant duel de prédications et menaces divines propres à troubler les esprits simples.
C’est en faisant venir deux prêcheurs formés à Bâle que le prince Ulrich achèvera de faire triompher le protestantisme à Montbéliard. Le premier pasteur, Guillaume Farel, arrive en 1524. Ses prêches enflammés séduisent les bourgeois qui depuis longtemps nourrissaient une sourde animosité à l’égard du clergé local. Dix années plus tard, c’est un second pasteur, Pierre Toussain, qui accompli l’œuvre d’installation définitive de la réforme à Montbéliard en formant les futurs pasteurs et instaurant des règles strictes quand au maintien de la discipline et des bonnes mœurs. C’est lui qui célèbrera la première eucharistie à Saint-Martin. Cette première communauté de rites et de croyances renforcera encore les échanges avec le monde germanique. Forts de leur autonomie, les francs-bourgeois avaient développé le territoire urbain, amélioré les équipements, pavé les rues, creusé des puits, encouragé les constructions en pierre et non plus en bois. Désormais, sous l’influence wurtembourgeoise, c’est l’éducation qui connaît un développement exemplaire au regard des standards de l’époque. L’alphabétisation, exigée par les pasteurs pour la lecture de la bible, élève très vite le niveau d’instruction des habitants. L’enseignement scolaire est la clé d’une réelle politique sociale et la fin de ce XVIe siècle voit la construction du premier collège universitaire. Cette enclave protestante dans une contrée catholique devient, très naturellement, une terre d’accueil pour les huguenots persécutés. Montbéliard qui ne compte que 300 feux en 1540 (environ 2 000 habitants) accueille plusieurs centaines de réfugiés français, lorrains et francs-comtois. L’arrivée de ces nouveaux habitants, artisans pour la plupart, contribue à vivifier l’économie de la cité dans une conjoncture qui reste maussade jusqu’à la fin des années 1580. Le retour à une paix relative, propre à favoriser le commercer et à redonner souffle à l’économie, coïncide avec les dernières années du règne du prince Frédéric qui gouvernera jusqu’en 1608. Ce prince, autoritaire et humaniste, aime à s’entourer de talents. Sous son impulsion, Montbéliard connaît les feux de la Renaissance. Il construit des routes, des ponts, stimule l’activité des corporations, développe le commerce jusqu’alors « aspiré » par les marchés de Bâle, Mulhouse et Besançon.

 Au XVIIe siècle, la ville est heurtée par le phénomène européen de la guerre.
Le prince créé une école de botanique, donne à la ville sa première imprimerie et la dote d’une bibliothèque humaniste de 2 000 volumes. Fait important pour la ville, le prince fait appel à un architecte wurtembourgeois, Heinrich Schickhardt, qui témoigna, en quelques années, d’une activité débordante dans les domaines militaires, civils et religieux.
La cité change de visage. La construction du temple Saint-Martin par Schickhardt couronne l’œuvre du prince bâtisseur. Une œuvre poursuivie par son fils, le prince Jean-Frédéric, de 1608 à 1617. Ces quelques décennies fabuleuses ne sont malheureusement qu’une parenthèse dans le cycle des grands tourments de l’histoire. Au XVIIe siècle, la ville est heurtée par le phénomène européen de la guerre. Commence alors une longue période de conflits et d’invasions ponctuée de disettes et d’épidémie de peste, qui à elle seule, décime un tiers de la population.
Ce sont les troupes du très catholique Louis XIV qui, en 1676, infligeront les plus graves blessures à la ville, démolissant les enceintes, pillant le château, profanant les tombes protestantes, abattant les tours et détournant les rivières pour inonder les habitations. L’occupation, les intimidations religieuses et le pillage des richesses vont durer jusqu’à la fin du siècle, mais sans véritable annexion politique de la part de la France.
Le jeu des alliances, des familles et des traités permettent aux princes wurtembourgeois de sauvegarder l’indépendance du Comté, acceptant les humiliations des troupes et assumant les coûts de leur subsistance et ceux de la reconstruction.
Les Montbéliardais, menacés dans leur fois, ont tenu bon et le retour au culte catholique ne survivra pas à leur départ. Garder leur foi protestante fut pour les Montbéliardais une forme de résistance à la France.

 Les premières rumeurs de la Révolution
La première moitié du XVIIIe siècle est une période de relative accalmie en dépit d’aléas climatiques parfois dévastateurs. Excellents agriculteurs, des anabaptistes chassés d’Alsace par Louis XVI, vont contribuer à la modernisation des pratiques agricoles. La vie économique reprend ses droits, malgré l’étau douanier de la France. Les Montbéliardais se mettent à l’abri de la famine et les bourgeois peuvent jouir de quelques décennies de répit, redécouvrant les rites du jeu social de cet ancien régime dont le temps est désormais compté.
À Montbéliard, on prépare le voyage à Saint-Pétersbourg de Sophie-Dorothée de Wurtemberg. Soucieuse de renforcer son alliance avec la Prusse, la cour impériale de Russie a organisé le mariage du tsarévitch Paul, fils de Catherine II, avec Sophie-Dorothée, nièce du prince Henri II de Prusse. L’union sera célébrée le 7 octobre 1776 à Saint-Pétersbourg.
Sophie-Dorothée deviendra Maria Fedeorovna, épouse impératrice de Paul 1er de 1796 à 1801, et mère impératrice du tsar Alexandre 1er qui succédera à son père en 1801.
Malgré un embryon de démocratie urbaine, la société est très inégalitaire dans la principauté, même si les contrastes sont moins marqués qu’en France. Des tensions de plus en plus vives commencent à marquer les relations au sein de la communauté, bien avant que parviennent les premières rumeurs de la Révolution.
Une grave crise de subsistance au cours des hivers 1789-90 va exacerber ces tensions et préparer le terrain de ces idées qui font germer l’espoir des plus pauvres. Les demandes de réformes, pour l’heure, s’adressent au prince mais les rêves d’égalité se heurtent encore aux souvenirs cauchemardesques de l’occupation française. Cette ambivalence des sentiments révolutionnaires se traduit par un attentisme prudent. Seule la bourgeoisie marchande voit dans l’annexion par la France une occasion de briser le corset douanier et une perspective d’ouverture commerciale. De sont coté, l’élite sociale, quoique conservatrice, n’a pas réellement la fibre contre-révolutionnaire. Le réalisme et la conscience sociale progressiste véhiculée par le protestantisme expliquent le caractère très peu violent des événements sur le plan social.

 Le protestantisme montbéliardais choisit la République laïque

Au printemps de 1792, la révolution est aux portes de la principauté. Les représentants du prince quittent la ville, les jeunes gens du peuple plantent des « arbres de la liberté » et manifestent dans les rues. Les curés remontent en chaire…
Quelques mois plus tard, les révolutionnaires locaux prennent l’hôtel de ville, s’emparent des armes et accueillent les bataillons révolutionnaires de Bernard de Saintes. Les soldats logeront chez l’habitant, sans incidents ni débordements.
La guillotine dressée devant l’hôtel de ville sera finalement démontée sans avoir raccourci quiconque.

(…)

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