CRISTEL
PASSION ET FIDÉLITÉ

Une entreprise, une aventure, un destin...

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Pour la société Cristel, à l'occasion de ses 30 ans.

Voir le site de cette belle entreprise.

En 1983, une entreprise défiait les augures et renaissait de ses cendres. Trente ans plus tard, son succès éclaire un passé glorieux et projette son éclat vers l’avenir. Retour sur une histoire qui s’écrit chaque jour.

 Un XIXe siècle conquérant

Nous sommes dans l’Est de la France (la Suisse voisine est à quelques kilomètres). Le lieu, c’est une petite vallée où coule une rivière, la Feschotte, qui a donné son nom au village de Fesches-le-Châtel, dans le Doubs.

Lorsque cette histoire commence, en 1806, la France est un empire. Napoléon vient d’ordonner la construction de l’Arc de Triomphe pour couronner les Champs Élysées. Cette même année, sur les bords de la Feschotte, un entrepreneur visionnaire achète un moulin et un vaste terrain. Il s’appelle Frédéric Japy, il a 56 ans. Lui aussi est en train de fonder un empire. En quelques décennies, il a révolutionné la production horlogère, il l’a modernisée, mécanisée. Il a inventé des machines, déposé des brevets. Il a aussi multiplié les ateliers dans toute la région. En bon industriel, il veut maintenant rationaliser.

L’usine de Fesches-le-Châtel deviendra son navire amiral. Lorsqu’il s’éteint en 1812, l’entreprise appartient à ses trois fils qui, à leur tour, déploient les activités et construisent d’autres usines. Japy Frères fabriquera des pompes, de la visserie, des casseroles. C’est l’essor. Sur les rives de la Feschotte, la production des ustensiles ménagers prend de l’importance à mesure qu’évoluent les technologies (l’emboutissage, notamment, à partir de 1849).

Japy devient la deuxième entreprise industrielle française sous le Second Empire.

Les années 1880 marquent l’âge d’or de cette nébuleuse d’entreprises qui remporte de nouveaux succès dans les machines à écrire, les moulins à café, les meubles de jardin, les lampes… Au tournant du siècle, le nom Japy est aussi illustre que celui d’une autre famille d’industriels de la région, les Peugeot, qui a choisi de se lancer dans la fabrication de ces automobiles pétaradantes qui effraient tant les chevaux.

 Les soubresauts du destin

Les guerres vont interrompre cette fabuleuse expansion. Une première guerre, puis une seconde, puis un ennemi plus terrible encore : le plastique, à l’orée des années 50. Ce siècle de la modernité sera celui des illusions perdues pour Japy. La famille, désunie, est aux mains des banques. Le monde a changé trop vite.

1970, 1980… les ateliers ferment les uns après les autres. À Fesches-le-Châtel, les presses s’immobilisent en 1981. L’usine restera fermée pendant deux ans. En 1983, ce sont d’anciens salariés qui rouvrent les portes, illégalement, comme on force le destin. Les machines sont toujours là, en sommeil ; des oiseaux nichent dans les poutrelles. Il faut réparer les bâtiments, nettoyer, réviser les machines. Les ouvriers ont des convictions et un leader Rondot, syndicaliste. Pour eux l’entreprise est viable, ils y croient. Leur projet de coopérative est accepté par les autorités locales. C’est une victoire. On rappelle les anciens clients, le bruit des presses réveille l’espoir dans la petite vallée.

Il faut donner un nouveau nom à cette entreprise qui veut oublier ses blessures. On veut une sonorité claire, lumineuse. On pense à Cristal, puis à Chatel (pour Fesches-le-Châtel, berceau de l’entreprise). Ce sera Cristel. Un nom parfait.

Mais le courage des repreneurs ne suffit pas. L’outil de travail est vétuste, les commandes plafonnent, la trésorerie est exsangue. Très vite, la coopérative épuise ses forces.

 Une rencontre décisive

En 1984, face aux difficultés de la coopérative, le conseil d’administration et les collectivités mandatent un conseiller en gestion et en organisation. Le conseiller est une conseillère. Bernadette Dodane est une professionnelle indépendante, rigoureuse et pédagogue. Elle met de l’ordre, elle fait parler les chiffres et ouvre les yeux des dirigeants. La vérité est douloureuse pour l’entreprise. Il faut de l’argent pour moderniser l’outil de production et faire chuter les coûts. Mais aucun investisseur ne veut prendre un tel risque. Ou alors… Ou alors il faudrait cesser de fabriquer des produits banalisés, faire le pari de l’innovation, miser sur le savoir-faire exceptionnel des équipes techniques. C’est ce que suggère le mari de Bernadette Dodane.

Paul Dodane est technicien à Automobiles Peugeot, le grand employeur de la région. Il n’est pas impliqué dans cette histoire complexe mais Cristel est devenu un sujet de conversation familiale, forcément. Un soir, il a visité les ateliers de Cristel, il a vu les équipements, il a discuté avec les gens. Ses paroles ont marqué les esprits. Ce serait quoi, cette piste de l’innovation ? On s’excuse de le solliciter ainsi mais… pourrait-il aller un peu plus loin ?

L’échange se poursuit, une relation de confiance se tisse au fil des mois. Pour les salariés comme pour les pouvoirs publics, le couple Dodane apparaît comme le seul recours solide. On leur fait comprendre. « Vous seuls pouvez le faire ». Dans un premier temps leur refus est catégorique ; Bernadette et Paul Dodane ont chacun un métier auquel ils sont attachés, et la situation financière de l’entreprise est très incertaine. Et puis les mois passent et l’évidence s’impose : l’entreprise a besoin de leurs compétences réunies. Ils sont la seule voix que tout le monde accepte d’entendre.

En 1987, ils cèdent. Ils hypothèquent leur maison et sollicitent des amis pour constituer le capital de la nouvelle SA Cristel que présidera Bernadette Dodane. Rien n’est gagné mais les salariés de Cristel reprennent espoir.

 La renaissance

La grande innovation de Paul Dodane, ce sera le Cook & Serve. En cette fin des années 80, la casserole n’est encore qu’un banal ustensile de cuisine. Elle n’a pas sa place dans les belles boutiques où l’on vend la porcelaine et le Baccarat. La casserole, c’est un peu Cendrillon. Avec le Cook & serve, elle va entrer dans le grand monde.

Les poignées amovibles, ça existe déjà mais ce ne sont que de vagues pinces à l’efficacité aléatoire. Celles que dessine Paul Dodane sont profilées, fluides, élégantes. Lorsqu’elles s’éclipsent, elles donnent à la casserole un rôle inédit. On remarque alors la pureté du design, l’éclat du bel inox. Le faitout devient un plat de service, les casseroles Cristel s’invitent à table. C’est une première.

En soi, l’idée est belle (et elle inspirera toute la profession). Mais l’idée seule ne suffit pas à expliquer le succès que connu la marque dès cet instant. Il fallait autre chose...  Il faut se souvenir que cette entreprise a des racines. Elle est l’héritière d’une culture industrielle protestante. La qualité, ici, est érigée en exigence morale. C’est cette qualité qui sera appréciées par les professionnels. Les grands chefs seront ainsi les premiers séduits, et leur attachement à Cristel ne se démentira jamais.

 L’ouverture au monde

Très entourées sur les salons, les casseroles Cristel font leur apparition dans les pages des beaux magazines dès le début des années 90.

Progressivement, les boutiques Arts de la table et les grands magasins parisiens  accueillent cette marque auréolée d’un prestige inédit. Les clients caressent l’inox étincelant. On s’exerce au maniement des poignées amovibles. Juste un clic, c’est si simple, si évident.

Cristel met en place une politique commerciale très attentive dirigée par Paul Dodane. Bernadette Dodane est l’ambassadrice attentionnée de la marque. À l’écoute, proche des distributeurs, les dirigeants fédèrent, ils font partager les valeurs de cette entreprise pas comme les autres. En l’espace d’une décennie, Cristel devient leader sur le marché hexagonal tout en se déployant à l’international. Le Japon, notamment, apprécie cette marque qui réussit l’alliance de l’ergonomie (si vitale dans l’exiguïté des foyers nippons) et du raffinement à la française.

 La voie de l’innovation.

Avec son concept Cook & serve qui a révolutionné les Arts de la table, Cristel a créé des attentes. La marque doit garder son avance créative.

Au début des années 90, les plaques de cuisson par induction commencent à gagner du terrain. À cette époque, aucune casserole inox n’est compatible avec cette technologie. Dans la profession, beaucoup pensent que la cause est perdue, que l’obstacle technique est insurmontable. Paul Dodane refuse cette fatalité. Il contacte EDF (fournisseur national d’électricité) (précision pour la version anglaise), Ugine (un des leaders mondiaux de l’acier) et la fédération française des constructeurs de plaques vitrocéramiques. Ensemble, ils constituent un pool de recherche. Dix-huit mois plus tard, la solution technique est trouvée. Cristel, une fois encore, ouvre la voie.

Cette décennie voit également l’arrivée, dans l’entreprise, d’Emmanuel Brugger. Il est lycéen, en 1990, lorsqu’il fait la connaissance de Fabienne, l’une des filles de Bernadette et Paul Dodane. Il découvre Cristel à l’occasion d’un emploi d’été cette même année. Il y fera de nombreux stages au cours de ses études. En 1993, il épouse Fabienne et intègre l’entreprise, tout en poursuivant un cursus d’ingénieur. Il sera l’artisan de l’informatisation de la production et, un peu plus tard, pilotera le grand chantier de modernisation de l’outil industriel. Ce n’est qu’un début.

 L’entreprise endeuillée

Au tournant du siècle, l’entreprise a toutes les raisons d’embrasser l’avenir avec confiance. Cristel connaît un succès sans précédent, en France comme à l’étranger. L’outil de production est des plus performants. Bernadette et Paul Dodane ont même le bonheur de voir leur fils Damien s’investir dans l’entreprise. Vingt ans plus tôt, Damien Dodane avait choisi un autre chemin. Amoureux du théâtre, il avait fait de sa passion un métier, tout à la fois acteur et auteur, loin de la Feschotte. À 40 ans, à la faveur d’un interlude entre deux projets artistiques, il a accepté de répondre à la demande de ses parents : un important secteur commercial, dans l’Est de la France, a besoin d’être géré momentanément. Il faut aller à la rencontre des distributeurs, les entendre, comprendre l’évolution des attentes. C’est un travail sensible. Il trouve la mission intéressante, et se rapproche avec plaisir d’Emmanuel, son beau-frère, sur le terrain professionnel. Tout va bien. C’est à ce moment-là, en août 2000, que Fabienne, la fille, l’épouse, la sœur, est emportée en vingt-quatre heures par une infection rénale foudroyante. Fabienne Brugger avait 28 ans. Elle était comptable et responsable administratif et financier de Cristel. La famille et l’entreprise sont sous le choc. Chacun puisera la force nécessaire dans la solidarité familiale. Damien Dodane décide de rester dans l’entreprise.

 Des valeurs partagées

Les années 2000 consacrent le succès de la marque. Le style Cristel s’affirme à travers de nouvelles collections saluées par les médias. L’entreprise confirme son leadership en France et multiplie ses représentations dans plus de trente pays. Les produits Cristel sont présents dans les rayons des grands magasins à Paris, Londres, Moscou, Tokyo, New-York… De grands noms de la gastronomie française affichent leur amitié pour la marque.

Cette décennie est aussi celle de la transmission à l’intérieur de l’entreprise, un passage sans heurt, intelligemment programmé. Bernadette et Paul Dodane confient la direction générale de Cristel à Emmanuel Brugger en 2006. Il a alors 34 ans. Damien Dodane le seconde dans la fonction de direction ET prend en charge la stratégie marketing et le développement à l’international. Sa sœur, Myriam, avocate en droit des affaires à Metz, gère toute la partie juridique de la société, et notamment la propriété intellectuelle. Paul et Bernadette Dodane, en tant que co-présidents de la SAS, continuent d’exercer leur rôle. Paul Dodane reste le concepteur qu’il a toujours été, et Bernadette Dodane demeure, et avec une foi intacte, la meilleure ambassadrice de la marque.

 L’avenir avec confiance

Dans un monde plus en plus mobile, une entreprise a besoin de souplesse et d’imagination. Et l’on n’est jamais aussi rapide que lorsque l’on est stable, solidement campé sur des bases claires et des valeurs sûres. La force de Cristel réside pour une grande part dans la permanence de ses principes. Tenir ses promesses, vouloir le mieux. Offrir le meilleur. C’est en étant fidèle à ses propres exigences que Cristel s’est hissée à la place qui est la sienne. L’immense cheminée de briques rouges, vestige préservé de l’ancienne usine, rappelle à chacun d’où l’on vient.

Cette fidélité n’est pas étrangère au rayonnement de la marque. On aime Cristel pour le beau, pour la qualité et l’intelligence de ses produits, pour ses promesses de saveurs, mais on l’aime aussi pour cette histoire singulière. Toutes les marques ont une personnalité. Certaines ont une âme.

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